Par son Arrêt R.Const 1584, la Cour Constitutionnelle statuant en matière d’interprétation sur pied de l’art 161 de la Constitution a jugé que les chambres parlementaires (Assemblée nationale – AN – et Sénat) (8e Feuillet, F) PEUVENT (ne pas confondre avec « doivent »):
- Clôturer leur session (ordinaire) et
- Demeurer disponibles TOUS LES QUINZE JOURS pour proroger ou non l’état de siège!
Notons que la Cour n’a pas entendu donner des ordres au Parlement pour ne pas violer le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs énoncé par John Locke et systématisé par Montesquieu dans L’Esprit des Lois. D’où l’usage de l’expression « peuvent »!
A son actif, se basant sur ce principe, la Cour a reconnu deux choses (Feuillet 7 de l’arrêt):
- Les chambres GARDENT LEUR AUTONOMIE de clôturer leur session et de convoquer régulièrement une session sur la prorogation de l’état de siège (c’est-à-dire qu’elles peuvent aussi ne pas le faire!) (Cfr denier paragraphe de l’arrêt, F 7).
- En optant pour la locution « de plein droit » à l’art 144 alinéa 2, le constituant, notre peuple et le souverain primaire, a décidé qu’en cas d’état de siège ou d’urgence, la session est RETARDEE. Les chambres n’ONT PAS le choix et ne peuvent donc pas clôturer la session (paras 5 et 6, F 7 de l’arrêt). C’est une disposition IMPERATIVE car rien ne permet d’y déroger.
Au passif, l’arrêt de la Cour constitutionnelle a violé les articles suivants de la Constitution:
- Art 144: Comment autoriser les chambres à clôturer alors que le constituant l’interdit FORMELLEMENT et a décidé que la clôture est retardée DE PLEIN DROIT comme la Cour l’a reconnu elle-même ?
- Art 115 (évoqué au début de F 8) dispose que l’AN et le Sénat tiennent DE PLEIN DROIT, donc obligatoirement, deux sessions ordinaires dont la première s’ouvre le 15 mars et se clôture le 15 juin. La Cour qui est censée être la protectice de la Constitution à laquelle elle DOIT aussi se soumettre ne peut pas autoriser l’AN et le Sénat à clôturer une session dont la Constitution a décidé qu’elle ne peut pas être clôturée. Aussi, si jamais elle devait avoir lieu, la clôture de la session de mars ne peut pas intervenir le 27 ou 28 juin alors que la Constitution l’a prévu à la date du 15 juin!
L’arrêt de la Cour est une violation de la Constitution et une invitation officielle lancée aux chambres pour qu’elles fassent de même.
L’on sait que les Sénateurs ne représentent que leurs provinces, qu’ils sont élus au second degré par les Assemblées privinciales (Art 104).
A partir de lundi 27 juin 2021 le Sénat est en vacances. Les Sénateurs peuvent prendre leurs vacances au pays ou à l’étranger (Paris, Bruxelles, Londres, New York, Canada, Afrique du Sud…); mais l’AN siège encore.
Que vont faire les Députés nationaux, eux qui sont élus par le peuple, qui représentent le constituant, le souverain primaire et la nation (Art 101)???
Vont-ils suivre l’exemple et tomber dans le piège pour participer à cette « fête » en répondant à l’invitation de la Cour???
Parce que le Sénat a déjà répondu à l’invitation, que va faire l’AN???
L’Etat de droit démocratique, c’est « l’Etat du Peuple d’Abord » tel que voulu par le constituant.
Pour l’une de premières fois dans notre histoire constitutionnelle, l’AN est placée devant un dilemme et doit choisir entre deux choses: se conformer et défendre la Constitution ou trahir le constituant!
Il est à esperer que l’AN suivra la première voie.
Tout le monde n’est pas juriste et tout juriste n’est pas constitutionnaliste!
Certains esprits tordus et hérétiques parmi les thuriféraires pourront parler d’une crise institutionnelle et évoquer l’art 168 de la Constitution sur le caractère obligatoire des arrêts de la Cour constitutionnelle, mais que feraient-ils si, « au regard des circonstances exceptionnelles », la Cour décidait aujourd’hui d’exercer elle-même les pouvoirs exécutif et legislatif? Un tel arrêt de la Cour serait-il également obligatoire et imposable à tous???
Non, l’AN ferait prévaloir la Constitution. Elle ne serait pas en conflit avec la Cour constitutionnelle qui a reconnu dans son propre arrêt que l’art 144 alinéa 2 oblige les chambres parlementaires à retarder (donc les interdit clôturer) la session en cas d’état de siège ou d’état d’urgence, que les chambres gardent leur AUTONOMIE et qu’elles PEUVENT clôturer (liberté de choix et non une obligation!) leur session et demeurer disponibles tous les 15 jours.
L’AN devrait donc prononcer la suspension de ses travaux et non pas clôturer sa session. C’est ce qui lui permettrait d’ailleurs de rester disponible.
L’autre problème est que si elle se permettrait de clôturer sa session ordinaire de mars ce mardi 28 juin en suivant l’exemple du Sénat qui s’est caché derrière l’arrêt de la Cour, l’AN devrait être convoquée en session extraordinaire probablement les 13 et 28 juillet, les 12 et 27 août ainsi que le 11 septembre, ce qui ferait cinq sessions extraordinaires entre la clôture de la session ordinaire de mars et l’ouverture de celle de septembre le 15 septembre! Du jamais vu en droit constitutionnel congolais!
Le Président de l’AN devrait s’abstenir de lever son marteau pour annoncer la clôture de la session de mars.
L’arrêt de la Cour et la position du Sénat que déjà l’AN a décidé de ne pas suivre lorsqu’il a refusé d’autoriser des poursuites contre l’un de ses membres soupçonné d’enrichissement illicite ou sans cause ne devrait pas servir de prétexte.
En retardant la clôture de la session comme l’y obligé l’art 144 alinéa 2 de la Constitution, l’AN pourrs nous éviter le ridicule de la convocation de cinq (5!) sessions extraordinaires successives très coûteuses d’ici l’ouverture de la session ordinaire le 15 septembre.
L’AN pourrait aussi donner à la Conférence des Présidents le pouvoir de siéger en son nom dans le cadre de la lutte contre le meurtrier Covid-19 dont la Cour n’a même pas tenu compte car les sessions extraordinaires de tous les 15 jours qu’elle recommandé se tiendraient avec la participation de tous les parlementaires.
En refusant de suivre l’exemple du Sénat, l’AN aura respecté la constitution sans entrer en conflit avec la Cour qui a elle-même reconnu l’autonomie des chambres sans les obliger à clôturer la session car elle dit qu' »elles peuvent », leur laissant ainsi le choix de décider de ne pas clôturer.
Le report de la clôture de la session de mars pourrait aussi permettre à l’AN d’entériner les membres de la CENI qui devraient être rapidement désignés pour que cette institution se mette en place pour l’organisation des élections dans le délai constitutionnel comme le souhaitent toutes les parties.
Malgré la persistance de Covid-19, le Président de la République et le gouvernement (une soixantaine de membres) ne sont pas en vacances. A l’heure de l’internet et du numérique, ils peuvent se réunir même en vidéo conférence. Les gouvernements provinciaux, les Assemblées provinciales et les cours et tribunaux ne sont pas non plus en vacances.
Lorsque l’état d’urgence avait été décrété auparavant, cette « circonstance exceptionnelle’ de Covid-19 n’avait pas empêché l’AN et le Sénat à continuer à travailler même en format réduit « dans le strict respect des mesures barrières »!
Avec l’Etat de siège, le pays est en « guerre ». En France ou ailleurs, le droit constitutionnel comparé ne nous fournit pas de cas où les parlementaires ou les Députés nationaux se sont autorisés ou ont été invités à clôturer les travaux du Parlement pour se donner des « vacances » alors que le pays est assiégé ou en guerre!
Dans tous les cas, la plénière de l’AN est souveraine et devra décider. Le constitutionnaliste faillirait néanmoins à sa propre « mission prophétique » si jamais il se réservait par complaisance et manquait à son devoir d’éclairer les élus du peuple et les représentants de la nation.
André Mbata
Professeur ordinaire à l’Université de Kinshasa et Professeur de recherche à l’Université d’Afrique du Sud